Ake Yozora Jûnin de Kumo
Messages : 20 Date d'inscription : 26/11/2010
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| Sujet: Un roman ? Dim 19 Déc - 1:29 | |
| J'écris un livre. Si quelqu'un est intéressé, j'ai le prologue et le premier chapitre. Envoyé par mail, ce serait plus propre, mais je le mets en spoiler. - Spoiler:
Prologue
On pourrait croire- et avoir raison de penser ainsi - que pour révoquer deux démons de cinquième classe et pour se débarrasser d’un de la septième, n’importe quel opaliste aurait choisi de les affronter au centre d’un ennéagone de neuf mètres de haut comme de large, entouré de neuf cierges de fluorite stratégiquement placés, ainsi que d’être entouré par l’odeur sucrée - qui se dégageait d’encensoirs au nombre de neuf - des Neuf Pins Maritimes de Balovia.
En fait, même pour un Haut Mage du niveau de Balmin, il était - dans toutes les circonstances possibles et imaginables - assez compliqué de vaincre un démon, quel qu’il soit. Balmin était Ensorceleur Impérial, pas opaliste ! Il n’avait que peu de qualifications dans la révocation de démons, et - élément notable et plus décisif dans l’enchaînement prochain des évènements - surtout, il était dans un état de somnolence et d’ébriété.
Balmin l'Illusionniste rentrait chez lui d’une réception au Palais Impérial qui avait trop duré à son goût. Et la moustagne, cet alcool piquant des Plaines Occidentales, était sans aucun doute trop fort. Mais le sorcier n’en avait guère tenu rigueur, concentrant ses efforts pour trouver son lit dans le noir et y finir sa nuit. Il saisit quelque chose de massif, dur au toucher, qu’il prit d’abord pour un sommier, et tira dessus pour s’en rapprocher. La chose vint à lui, pourtant, et le mage se surprit à penser aussi intelligemment qu’il ne s’agissait certainement pas d’une pièce de lit, laquelle lui aurait ou écrasé le pied, ou ne serait tout simplement pas venue à lui lorsqu’il avait tiré de ses petits bras. «Brillante réflexion, mon cher Balmin» pensa-t-il. À moins que ce ne soit pas lui qui ait pensé.
Lorsqu’un enchanteur - quel qu’il soit, des neuf classes possibles - entre en contact épidermique avec n’importe quoi qui touche à la magie, il en connait immédiatement les propriétés et le niveau de pouvoir. Même pour Balmin yan Ranwett ivre et endormi, la magie opéra et traversa son esprit ralenti par des neurones fixés sur place par un ou deux grammes d’alcool de trop dans ses veines. “T’es vraiment dans un sale état, Balminou...miaula Bennaroth, démon de septième classe, siégeant au Conseil du Disque d’Ambre. - Qu’est-ce ça peut t’faire ? grogna le vieux mage. - Eh bien, s’expliqua le fils du Chaos, je ne gagne pas grand chose à prendre ton âme...” Le plus âgé des sorciers de l’Empire se permit un bâillement indiscret, et s’assit sur son lit qu’il venait de repérer, ses yeux s’habituant doucement à l’obscurité. “Je l’sais bien, Bennaroth, mais qu’est-ce ‘tu veux d’moi, dans c’cas ? - Que tu sois sobre lorsque je m’emparerai de ton âme, et que je l’aurai pour l’éternité.” railla le Chef du Conseil d’Ambre. Balmin jeta un coup d’oeil au pot de chambre qui trônait dans le recoin le plus sombre de la pièce, et une envie de l’utiliser à sa fonction première - c’est à dire l’admirer en tant que décoration d’intérieur - le prit. Il tourna ensuite lentement sa face ronde et rougeaude vers le démon. “Et après ? lâcha plus qu’il ne demanda le sorcier. Tu vas pas m’désaoûler ?! - Non, bien entendu, sourit le démon, découvrant deux grandes canines blanches comme neige. Je vais manger ton enveloppe charnelle centimètre par centimètre, dévorer ton âme avec le Feu Noir, la jeter dans la Grande Mâchoire et la laisser y brûler en attendant que Père vienne lui-même discuter avec elle.” Balmin poussa un long soupire qui aurait asphyxié cette mouche fébrile voletant contre la fenêtre de la chambre, si elle avait eu la mauvaise - ou la bonne - idée de se placer devant la bouche du mage, tant l’haleine répugnante qui s’en dégageait empestait l’alcool. “Bon, répondit-il, on commence par quoi ? - JE commence, mon petit Balmin, par ordonner ta mort corporelle. Ensuite, je défais le sceau qui protège ta mignonnette âme d’enchanteur, et je me sers comme tu te servirais dans un sucrier .» Le démon claqua des griffes - et non des doigts, vous comprendriez si vous aviez Bennaroth sous ( ou plutôt sur, depuis ses trois mètres ) les yeux. Dans une implosion d’un rouge sombre et sanguin, qui, sans être bruyante, donna à Balmin l’impression d’entendre tous les cris des damnés de la Grande Mâchoire, deux diaboliques silhouettes apparurent, engloutissant dans le néant démoniaque toute forme agréable de fraîcheur. “Balmin, reprit Bennaroth, je te présente Karnaj’ et Moc’htë. Ils seront tes guides à travers la Grande Mâchoire.” Le vieux sorcier soupira à nouveau, et prit de vitesse celui que Bennaroth avait nommé Moc’htë. Récitant par coeur ses cours de révocation, il se trancha la pulpe des doigts de la main gauche sur un coupe-papier en agate qui attendait patiemment qu’on l’utilise sur le bureau du mage. Une goutte de sang perla précisément au moment où Balmin l’Ensorceleur posa sa paume sur le torse rougeâtre du démon de cinquième classe. La main du mage s’éclaira soudainement, semblant briller d’une lumière bleu sombre sous la peau. La luminosité atteignit également le démon qui regardait avec stupeur le vieux sorcier qui était en train de l’envoyer dans une lointaine dimension. En fait, il s’agissait d’une révocation spéciale, dont la différence avec les autres était que le mage influençait le flux de fluorine, de façon à renvoyer la cible dans la dixième dimension, celle du Rien, du Néant Profond ou encore le Monde Noir. Les conjurations habituelles oeuvrent seulement sur l’orientation du fluor qui compose le démon, le poussant à retourner dans son Plan d’origine.
Il faut comprendre que personne sur tout l’Empire n’a de connaissance sur ce que nous appelons «une», «deux» et «trois» dimensions. Selon les plus grands mentomages il existe dix dimensions. La première est celle du Tout. Il parait qu’il y fait chaud et froid à la fois, et que tout y est blanc. En fait, toutes les énergies y sont concentrées, et contraintes de se marier, de se composer entre elles, pour que l’Harmonie puisse y résider. Ainsi, la Première Divinité est la pure et blanche Harmonie, régnant sur le Tout. La seconde dimension est appelée à bien des endroits chez nous l’Olympe : la résidence des Dieux. Tous y ont leur Grand Temple, et il s’agit de l’une des trois seules dimensions auxquelles un être humain peut accéder physiquement. Il s’agirait bien sûr là d’un grand honneur, mais il a été prouvé qu’il existe bien un Portail Dimensionnel entre la seconde et la troisième dimension. Oui, cette troisième est celle de l’Empire-Roi, don divin fait aux humains il y a des milliers d’années de cela. Comme son nom le fait comprendre, si quelque chose ou quelqu’un règne sur ce Monde, c’est l’Empire, ou l’Empereur actuel, Kazarahn le Sourd - surnom donné non pas à cause d’un problème auditif, mais pour décrire à quel point sa cruauté et son égoïsme le poussent à ignorer le peuple et ses doléances. La quatrième est le Plan naturel du Feu, et le dieu Yarinash y a son palais. On parle d’une terre sainte stérile, immense, sur laquelle la chaleur est étouffante et où rien ne peut vivre, hormis Yarinash et certains de ses prêtres les plus fidèles qui se sont sacrifiés pour le rejoindre dans sa demeure. Vient ensuite celui de l’Eau, résidence de Nahlya, divinité aqueuse. Son Plan est le plus grand après le premier qui est Infini, et contient l’Océan-Monde, dont la légende veut qu’il s’agisse d’une tortue marine gigantesque qui nage dans l’Infini Dimensionnel. Cela est relativement impossible, ce qui lui vaut le nom de légende ; La cinquième dimension ne peut pas se déplacer dans la première ! Mais comme personne n’a jamais apporté de preuves, on soutient cette théorie très ancienne de la Tortue Ta’win, que le Grand Sage Trapshett avait de même soutenu il y a maintenant plus de six cents ans . La sixième Dimension est celle du dieu de la Foudre, Robushi, selon la légende des Hommes de l’Ouest. Il s’agit d’une divinité très peu adorée sur l’Empire, et seuls quelques ermites vouent entièrement leur existence à lui. Il aurait l’apparence d’un chaton blanc, mais on ne sait rien d’autre sur lui. Il aurait l’apparence d’un chaton blanc, mais on ne sait rien d’autre sur lui. Quant à la septième Dimension, elle est le Temple du Vent, le Monde Sathomi, dieu des Tempêtes. À ce dieu sont faites beaucoup d’offrandes par tous les paysans et travailleurs de terre, redoutant chacun des ravageurs cyclones, et implorant ses pluies bienfaitrices pour les cultures. Vous comprendrez plus tard quelle est la huitième ; je passerai directement au neuvième Plan, celui de la Magie. Il n’a pas de divinité spécifique assignée, mais est une dimension spirituelle accessible à tout sorcier ou mage ; n’est pas inclus dans cette distinction l’Ordre des prêtres ou encore la Compagnie des Druides. Un magicien régénère son taux de fluorine en puisant dans la neuvième Dimension qui en est entièrement constituée. Nous avons vu la dimension du Tout, la première : eh bien la dixième en est l’opposé, le Plan du Rien. Au contraire d’avoir chaud ou froid, on n’y a ni chaud ni froid. Il y fait un noir total, une couleur inexistante. Non pas un silence - qui est bien l’absence de bruit - mais un non-bruit, un bruit négatif. Et ce sont là les conditions de vie du Désordre, dieu sombre de la dixième Dimension.
En ce qui concerne la dixième Dimension que vous comprenez mieux à présent, il s’agissait de la destination de Moc’htë, après que le démon fut touché du sang de Balmin qui le révoqua brutalement, l’envoyant contre son gré dans la Dimension noire du Vide. Le démon de cinquième classe disparut lentement, comme aspiré par un trou noir, le sang rougeâtre de Balmin semblant dévorer à chaque seconde une nouvelle parcelle de son corps démoniaque. Quand Moc’htë fut réduit à une petite sphère d’un rouge sombre, il lâcha une insulte en Skanolide, le langage des démons. Si le célèbre Balmin le connaissait, il se serait certainement vexé : il est clair que de se faire traiter d’humain, cela a de quoi vous mettre hors de vous. Si vous êtes un démon, va de soi. Ce dont je suis persuadé, puisque vous lisez ces lignes. Balmin lâcha un long soupir de soulagement, avant de s’apercevoir que Bennaroth et l’autre diablotin, Karnaj’, pensait-il se souvenir, le regardaient en ouvrant des paires de globes oculaires, stupéfaits. Non, ils n’ont pas d’iris, pupilles, et tout ça, les démons. Juste des pseudos-yeux, souvent arrachés à des victimes, parcourus par de la fluorine à haut débit. Les démons dépensent beaucoup de leur énergie à bien y voir lorsqu’ils sont invoqués dans la troisième Dimension : celle-ci comporte...à leurs yeux... trop d’éléments visibles, du moins comparé à leur Plan à eux, qui n’est que ruines, rage et sadisme, ossements arrosés de sang répandus sur le sol. Aussi, même s’ils peuvent voir dans la Dimension de l’Empire, ils n’obtiendraient pas un neuf sur neuf au test d’acuité visuelle de l’Académie d’Ophtalmologie. Et c’est pour cette raison que Bennaroth reçut, sans pouvoir comprendre de quoi il s’agissait, un presse-papier en verre qui devait bien peser deux kilos en plein dans sa grande face hideuse - yeux noir charbon, peau rouge sombre, chevelure bestiale et farouche à la teinte rousse, et une paire de canines jaunes qui dépassent d’entre ses lèvres. Il poussa une sorte de jappement de surprise, altéré par ses cordes vocales, eh bien, démoniaques, donc pas vraiment dans le ton fluet. Titubant en arrière, le front entre ses deux mains, il grogna sauvagement. N’importe qui d’humain ayant reçu un projectile aussi lourd et aux angles si pointus serait mort sur le coup, ou serait à l’hôpital de la ville la plus proche, ce qui rejoint avec évidence la première supposition. Bennaroth, quant à lui, se mit à luire et le trou qui lui tenait lieu de cerveau ( à cause du presse-papier, bien sûr... ) se reforma d’une matière grisâtre. «Mais ça va pas ?» s’énerva-t-il en rouvrant les yeux. Certainement s’adressait-il à Balmin ; mais il ne le vit pas en face de lui. Ne le cherchant pas, la cécité presque totale le saisissant en même temps que la douleur, il ne sut où se trouvait le sorcier que lorsqu’il perçut le tintement d’une lame d’acier qui glisse contre son fourreau. Se tournant d’un bloc vers la source du bruit, il se détruisit seul : le couteau se planta jusqu’à la garde dans son abdomen. Le démon plongea un regard stupéfait dans celui sombre et déterminé de Balmin, qui lui sourit assez étonnement sobrement. «Le poignard d’Athul, ensorcelé par Malween lui même, s’expliqua-t-il. Enfin, dès qu’il a pénétré tes entrailles, tu as connu son nom, ainsi que son pouvoir particulier, n’est-ce-pas ?» Le sorcier sourit faiblement, comme éprouvé par l’effort physique qu’est de détruire un démon. Rien de plus normal, après tout. «S...sale...humain ! Kazakh Malhan Vënominë ! Tu aspires ma nature et ma vivacité démoniaque ! Meurs sur la Langue de Feu et souffre éternellement dans la Grande Mâchoire ! - Oui, oui, acquiesça faiblement le mage de la tête. Je pense que tu es fatigué, tu devrais te taire et aller dormir.» Il reprit son sérieux. «Tu vois cette lumière rouge qui émane du poignard ? Ce sont ta vie et tes pouvoirs. N’est-ce pas fantastique ? s’exclama-t-il, ravi. Le mieux est que j’ai trouvé ce couteau dans ce pot de chambre, là, au fond de la pièce ! Je l’aurai ramassé pendant que tu gardais tes yeux fermés, attiré que j’étais par son aura magique impressionnante.» La silhouette de Bennaroth perdait doucement de la réalité, comme un rêve qui s’efface au fur et à mesure que l’on se réveille complètement. Le vieux mage reprit son discours. «Je me demande ce que cette relique faisait dans ma chambre, en fait. Elle doit valoir au moins cinq pièces ! Si tu veux mon avis, Ben, c’est un intervention divine !» Le sorcier était tellement enjoué du fait qu’il commençait seulement lentement à concevoir qu’il en oubliait la nature démoniaque de la chaotique créature, lui adressant la parole pas plus difficilement que s’il discutait avec Kazarahn le Sourd, c’est à a dire naturellement et avec beaucoup de décontraction. Peut-être en haussant un peu le ton. Non, ce n’est pas une méchanceté gratuite sur le suffixe nominal de l’Empereur ; simplement, ce dernier avait atteint ses quatre-vingts ans il y a peu, et était - malheur à lui - réellement malentendant.
Bennaroth, le Chef du Conseil du Disque d’Ambre, Roi de l’Ordre des démons de septième classe, oui, Bennaroth le Chevelu, comme le surnommaient ses plus jeunes enfants souffrant de calvitie , disparut dans une vague sonore puissante et sourde, renversant Balmin sur ses fesses qui gémit ( Balmin, pas une fesse ) en marmonnant quelque chose à propos de rééducation, de merde et d’abus de moustagne. La décharge énergétique détruisit instantanément l’autre démon invoqué par Bennaroth, le dénommé Karnaj’. L’appartement du mage fut brièvement éclairé d’une luminosité pâle mais puissante, puis le rideau noir et obscur de la nuit retomba sur la pièce et sur les paupières de Balmin l'Illusionniste.
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Sur l’Empire, peu de gens cultivés ne connaissent pas la légende de Balmin le Sorcier. Même si l’histoire s’est un peu transformée au cours des années pour en donner une version plus héroïque au fur et à mesure que Balmin s’y ajoute une bonne action, une qualité. Oui, tout le monde connait la légende de Balmin l’Enchanteur qui vainquit douze démons de sixième niveau accompagnés de Bennaroth, de la neuvième classe ; on dit qu’il leva fièrement l’épée d’Athul, sertie de fluorites en tout genres, et qu’il la planta dans le corps de Bennaroth, aspirant sa vitalité démoniaque en lui. Et c’est ainsi qu’il commença à être surnommé Balmin l’Immortel ; oui, la vie éternelle des démons s’est enfouie au fond de lui ainsi que nombre de pouvoirs sombres propres aux fils du Chaos.
L’immortalité ne doit pas appartenir aux humains. Et malgré toutes les vannes que l’on put faire à Balmin à ce sujet, ce dernier est bel et bien humain. Aussi, sa mort se doit d’arriver un jour. Mais du fait des gènes démoniaques contenus dans son acide désoxyribonucléique, elle devrait patienter quelques années de plus. La mort de vieillesse, bien entendu. Celle que l’on dit accidentelle a beaucoup moins de patience, et bien plus de malveillance.
I
Le Palais était impressionnant. Trouver un autre adjectif pour le décrire aurait été inutile, parce que, eh bien, impressionnant suffisait largement. Il faut bien garder en tête que «impressionnant», cela signifie que cela provoque, donne de l’impression. Donc, le bâtiment n’était pas nécessairement immense, monumental. Bon, il se trouve que le Palais Impérial de San~Casado était plus grand qu’on petit village de province en tout genre. Mais le fait est qu’il inspirait un autre sentiment. Qui que l’ont soit, riche bourgeois ou paysan démuni, quand on se trouve devant le monument, seules des échelles de fortune nous apparaissent clairement. Car les petits sous de notre poche ne valent rien face à ce trésor. Oui, un trésor, si ce n’est plus. C’est pour cette raison que le Palais état surnommé le Troisième Soleil de l’Empire, ou encore le Joyau aux Mille Facettes. Cela est nettement moins joli quand on explique que les toilettes du personnel comptent pour cinq facettes. C’est aussi pour cela que mille désigne l’innombrable. Il parait que le Palais n’a que quatre-vingt huit mille huit-cent quatre-vingt-huit facettes. Il s’agissait de la punition d’un servant que de compter tous les côtés et murs du château. Annonçant le nombre empli de démoneries, l’imbécile avait effrayé toute la cour. Quatre-vingt huit mille huit-cent quatre-vingt-huit facettes, c’est un peu comme un mille-feuilles à la moustagne nordique . C’est mauvais, repoussant, décoloré, et malheureusement addictif si on y goûte. Depuis, la moitié du Palais est devenue le plus grand temple de l’Empire. Une centaine de prêtres ‘y relayent pour prier continuellement Harmonie, dans le but de repousser le Mal. Depuis également, le Palais Impérial de San~Casado est surnommé le Coeur d’Ambre.
Balmin circulait avec une vitalité déconcertante pour son grand âge dans les différentes artères qui parcouraient le Coeur d’Ambre. Cela faisait bien deux-cents ans qu’il faisait régulièrement ce chemin. À la rénovation du Palais, il y a cinquante ans environ, le vieux mage avait été un peu perdu. Mais on s’habitue vite, comme on dit. Il déboucha au bout d’un moment devant une salle aux proportions déraisonnables. La porte en bois ensorcelé lui en cachait la vue, mais il savait qu’il n’avait pas le droit d’y pénétrer. Restant immobile une petite seconde, il finit par se décider. D’un geste peu assuré, l’Ensorceleur attrapa la poignée sertie de bijoux et ouvrit la porte qui doucement grinça... «Bon. Vous voilà !» Balmin baissa honteusement les yeux. Puis les releva doucement, tout aussi honteux. «Oui, m’sieur. Que voulez-vous, m’sieur ? - Ne soyez pas ridicule. Vous voyez bien que je suis coincé ! Ces cuvettes sont diaboliquement larges !» Balmin s'intéressa à la position on ne peut plus douteuse, certes, mais embarrassante de l’Empereur Zennoknaninorva. Ce dernier, à trente centimètres en face de lui, en position assise, était visiblement dans l’incapacité de retirer son fessier de l’étroite étreinte de la cuvette des toilettes impériaux. «Mais dépêchez-vous, nom d’un troisième oeil ! Je ne vais pas rester ici toute la nuit ! - C’est que, répondit faiblement le mage, votre semi-nudité m’est visuellement inconnue. Et en plus, ça sent la moustagne nordique, vot’ truc...» L’Empereur actuel le foudroya du regard. Il était beaucoup moins sympa que Kazarahn, de l’avis de Balmin. Enfin, c’est juste parce que Kazarahn n’entendait rien, et était corruptible par n’importe qui, ou quoi. Il aurait aimé de la mousse à raser sur des patates douces. Balmin décida qu’il fallait l’aider. Pauvre vieux, faut le sortir de là, se dit-il. C’est pas propre, là-dedans... «Ne vous inquiétez pas, m’sieur. ‘Faut pas avoir peur, même si c’est pas courant comme sensation. - Pourquoi ? Vous allez me télé...!?» Sa question fut interrompue par un blop ! sourd et sonore. «Nom d’une nordique moustagne dégueulasse chauffée aux braises ! s’énerva l’Empereur. Vous voulez me tuer, Balnain ? - Non, m’sieur. Et puis moi, c’est Balmin. - J’vous en fich’rai, des belles mains, dans votre face de primate !» «Finalement, pensa le sorcier, il est peut-être aussi sourd que le vieux Kazarahn...» Puis il fit mine de se vexer, réalisant que le lapsus de l’Empereur révélait peut-être une arrière-pensée. «Vous me trouvez petit, m’sieur ? s’enquit-il. - N...on...Vous êtes seulement un petit peu court sur pattes. Faut pas vous vexer» ajouta-t-il dans un silence religieux. Un ange passa doucement. Décidément il n’allait pas rater son train, car il ne se fit pas prier pour faire durer le silence. «Euh...Et votre famille, ça va ? essaya de rattraper l’Empereur. - J’ai deux-cent cinquante ans, m’sieur. Mon arrière-petite-fille est décédée il y a cent quatre-vingt-dix ans. Mes descendants plus jeunes me considèrent comme une légende, un conte. - Oh. Votre petite fille est morte jeune. - Elle avait quatre-vingt huit ans.» À ce point de la conversation, l’Empereur aurait peut-être dû se taire.Mais il était empereur, tout de même. «Votre nom me fait penser à quelque chose, Balmin, dit-il. - Ah oui ? À quoi donc ? - Je vois bien un sport...Oui, le Bal-min. Je trouve que cela sonne bien, expliqua-t-il. - Comment songer au sport en période de guerre, m’sieur ? se plaignit le sorcier. De plus, je vous l’ai déjà dit, j’ai deux-cent cinquante ans. Alors moi, le sport, ça m’emmoustagne.» L’Empereur remonta d’un geste précis tout le bas de de son costume - qui devait d’ailleurs peser un certain poids, vu le nombre de couches, de médailles, de culottes et de tissus qui constituaient le pantalon. Puis il fixa Balmin, un sourire aux lèvres, pendant deux petites secondes. Pour lui tapoter l’épaule droite théâtralement. «L’Empire connait un développement des plus impressionnants depuis la mécanisation des transports et de l’agriculture, Balmin. - Personne ne peut profiter d’une voiture, m’sieur, rétorqua le sorcier. Elles coutent on ne peut plus cher et sont très mal vues, même dans la capitale. - Peu importe ! s’exclama Zennoknaninorva l’Anticonstitutionnaliste. Nous entrons dans la période du Tirkhu. - Je... Je vous demande pardon ? Tirkhu ? - Eh bien...» L’empereur semblait gêné. «C’est Robert, mon ambassadeur de l’Autre Monde, qui m’a dit cela. Je voulais savoir comment i exprimerait en un mot, dans l’Autre Monde, une «remontée mécanique». Alors il m’a parlé de Tirkhu. - Je vois, répondit Balmin. L’Autre Monde est vraiment en avance sur le nôtre.» Les deux hommes se considérèrent longuement. Perdus tous deux dans leurs pensées, Balmin yan Ranwett ne pût s’empêcher de trouver que l’Empereur avait une sale tête. Et pourtant, il en avait vu, des empereurs. Puis Zennoknaninorva l’invita d’un bref signe de tête à le suivre, et ils marchèrent tous deux en silence dans la direction du Bureau Impérial.
L’Autre Monde est pour vous, lecteurs, celui dans lequel vous vivez. Et celui duquel beaucoup d’empereurs et chefs de guerre se sont inspirés. Cependant, la démocratie répartissant le pouvoir en plusieurs assemblées, la plupart de ces grands hommes avaient préféré garder la liberté de faire ce qu’ils voulaient. Rares sont les problèmes de téléportation ; mais quelques fois, un humain de l’Autre Monde se retrouve sous l’Arcade Dimensionnelle de San~Casado. Ces voyages entre deux mondes étaient totalement incontrôlés, et généralement, le retour de ne l’était pas moins. Pour cette raison, si un visiteur de l’Autre Monde arrivait non loin du Palais, il était accueilli en prince et assailli de questions concernant la technologie, la médecine, les sciences... Ces personnes repartaient en général au bout de quelques heures, mais tous les scientifiques et technomages de l’Empire profitaient de ces précieuses connaissances qui semblent de culture générale sur l’Autre Monde.
Zennoknaninorva s’installa derrière son bureau, dans un large siège de cuir brodé de lettres d’or : ZLA. Zennoknaninorva l'Anticonstitutionnaliste avait un bureau comme en aurait tout chef d’état de l’Autre Monde. C’était classe et moderne. L’Empereur invita d’un geste Balmin à s’assoir, puis saisit une feuille imprimée de caractères noirs. L’imprimerie avait été une idée révolutionnaire, mais était tout compte fait peu utilisée, l’encre étant relativement rare sur l’Empire. Les pêcheurs de poulpes des mers de l’Est en profitaient pour vendre leurs produits excessivement cher, et seuls les riches seigneurs pouvaient s’en procurer. L’Empereur fit semblant de parcourir des yeux le document et prit un air outré : «Dieux divins ! Saletés de démocrates !» Balmin se saisit de la feuille volante et en lut le titre à haute voix. «Débordements de magie sur les ARF ». Vous avez raison ; saletés de démocrates. - N’est-ce pas, hein, compléta l’Empereur.» Le sorcier poussa un bref soupir, prit un siège et se posa de dessus. Zennoknaninorva prit la parole dans un silence pesant. «Balmin, Balmin, Balmin... Je vous ai fait venir pour une raison précise, en fait. - Je pensais, rétorqua le mage, que vous décoincer de la cuvette des toilettes était une raison quelque peu précise. - Certes, certes, admit le décoincé. Mais je veux parler d’un secret d’Empire. - Ça empire, répondit le sorcier, amusé. Vous voulez que tout San~Casado soit au courant de votre petite aventure «toilettière» ? - Je n’ai jamais dit cela ! s’énerva l’Empereur, certainement sous la peur d’une humiliation publique laquelle aurait certainement des répercussions politiques, et troublerait un peu les plombiers de San~Casado. Seulement, continua-t-il, je...» Il réfléchit un instant. «Je n’ai pas à m’excuser, Balmin ! Je suis Empereur ! Maintenant, laissez-moi vous expliquer pourquoi vous êtes ici... - Je vous écoute, m’sieur, s’excusa Balmin. - J’ai une révélation à vous faire, Balmin. Vous m’écoutez bien ? - Oui, m’sieur. J’vous écoute bien. - Ouvrez grand vos oreilles. Oh ! Toutes mes excuses, c’est déjà fait. - M’sieur ! se plaignit Balmin, enfouissant son visage dans sa sombre capuche. - Oui, oui. Bon. L’Empire est... en guerre.» Balmin cracha un gros glaire sur le tapis de satin de la salle. «Moustagneux ! L’Empire est en guerre depuis plus de deux ans ! - Ah bien bon ? répondit l’Empereur, les sourcils froncés dans un angle particulier. - Mais bien sûr, m’sieur ! - Ils auraient tout de même pu me prévenir... - Qui ça ? - Eh bien, l’ennemi ! - Les Nordaliens ont incendié le Palais, m’sieur ! C’est pas trop mal , comme message de prévention, à mon avis ! - C’était ça, ce qu’on appelait la canicule ? - Mais, m’sieur...!» Balmin se tut, préférant le silence à la dépense inutile de salive. Il considéra l’Empereur qui avait redirigé son regard sur une pile de documents concernant la hausse du prix des betteraves bleues. Puis il reprit : «Bon... Qu’est-ce que vous attendez de moi ? - Eh bien, fit Zennoknaninorva, c’est évident. Vous allez faire cesser la guerre.» Grand et très long blanc. Petit sifflotement tout à fait objectif. «Est-ce que vous êtes sérieux, m’sieur ? - Eh bien oui, quoi ! s’exclama sans raison l’Empereur. Vous ne vous en sentez pas capable ?» Balmin soupira sans chercher la discrétion, exaspéré. «Alors vous êtes bellophile ? s’enquit Mr. Z. - Belloquoi ? - Eh bien, bellophile, c’est une personne qui... - Non, non, je vous crois... Comment vous voulez que j’arrête la guerre, m’sieur ? demanda Balmin sur un ton comme suspicieux. - Rien de plus simple ! annonça l’Empereur comme ravi de la question. Il vous suffit de tuer le roi de Nordalie, de vous faire passer pour lui et de dire aux généraux d’arrêter leurs armées !» Balmin leva doucement sa main plissée et ridée pour la plaquer sur son large front et se le masser de désespoir. Étonné de cette réaction, l’Empereur se pencha au-dessus du bureau, l’air agacé, et souffla : «Tout à fait entre nous, si vous vous sentez de le faire, vous pouvez ordonner aux troupes d’aller se noyer dans les mers du Sud. Comme ça, ils seront moins, en Nordalie !», finissant sa phrase sur un cri surexcité, certainement du à la sensation d’avoir imaginé un plan machiavélique et très intelligent. C’est comme ça un empereur, se dit Balmin. On ne peut rien y faire. «Il n’existe pas un autre moyen ? - Si, si... Vous pourriez enlever la faille du roi. Mais dans ce cas, pas de bêtises, hein ? - M’sieur, j’ai deux cent cinquante ans. Mon système... Enfin, il est vieux et hors d’usage. Et puis même, c’est quoi ces sous-entendus, m’sieur ? - Rien, rien... La fille du roi a vingt ans et vit avec son père dans leur château en Nordalie. Je le sais, Haltan m’avait invité aux dix-huit ans de sa fille. Je ne me souviens plus de son nom... - C’est sans importance. - Vraiment ? Drôle, comme prénom. Sanzain. On m’avait dit que les Nordaliens avaient des cultures un peu particulières, ceci-dit. - Comme la betterave bleue, en fait, m’sieur. - Ah oui...» Il rit quelques instants, et reprit la parole. «Je ne sais pas pourquoi Haltan nous a déclaré la guerre, quand même. C’était un bon ami. - Tout dépend de ce que vous avez fait, aux dix-huit ans de sa fille, m’sieur. - Ben, il y’a deux ans, je l’ai emmenée dans les toilettes et puis... Oh ! - Mais vous êtes stupide, m’sieur ! La fille du roi ! - Boh, ça fait rien. C’est pas pour ça qu’il y’a la guerre, non plus.» Balmin décida pour la seconde fois depuis le début de leur conversation d’ignorer la réplique précédente de l’Empereur. Prenant plutôt au sérieux la requête de ce dernier, il le questionna : «Serai-je payé ? - Bien entendu, confirma Zennoknaninorva. - Cher ? - Han-han, répondit-il, affirmatif à nouveau. - Vous ne me donnerez pas d’idée fixe, n’est-ce pas ? - Non ! - Et je pars quand, m’sieur ? Et puis, j’ai besoin de quelqu’un avec moi ! - Oui, oui. Mon fils veut devenir sorcier. Il viendra avec vous, et vous lui enseignerez sur les chemins. - Je vous demande pardon ?!... - Chemin. Comme votre prénom, avec «che» à la place de «Bal». - Non, je veux dire...pendant le voyage ? Et puis même, je ne sais pas professeur, m’sieur ! - Vous êtes Balmin l’Immortel ! Et puis vous êtes le seul capable de vaincre Haltan et toutes les armées Nordaliennes ! s’exclama Zennoknaninorva. - C’est que... - N’avez-vous pas vaincu Bennaroth ? Le démon de neuvième classe ? - Ben...si... - Bennaroth lui-même n’avait-il pas attaqué San~Balovia et n’en avait-il pas détruit plus de la moitié à lui-seul ? - Ben...non...» Réfléchis, Balmin. C’est bon pour ta réputation. «Oui, que dis-je. Bennaroth, de la neuvième classe. - Voilà ! Bon. Vous partez demain. - Quoi ?! s’écria le sorcier. - Demain. Comme votre prénom, avec «de» à la place de «Bal». - Mais je ne suis pas prêt ! - Eh bien, préparez-vous. Mon fils viendra vous chercher dans la matinée. - C’est comment, son nom, m’sieur ? - Zennoknaninorvë. - Non, ça, c’est votre nom, m’sieur, expliqua Balmin patiemment. - Non non ! Moi, c’est Zennoknaninorva l’Anticonstitutionnaliste. Lui, c’est Zennoknaninorvë l'Hippopotomonstrosesquipedaliophobe . - Je vois. Il a un surnom ? - Han-han, fit l’Empereur. Zennoknaninorvinou. - À vos souhaits.»
À savoir que du coup, y'a pas les notes de bas de page. Merci de votre attention | |
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